Échange savant, échange marchand. Intermédiaires culturels et commercialisation du savoir entre la France et l’Espagne (1770-1790)
Cet article reprend le sujet classique des transferts culturels entre la France et l’Espagne au xviiie siècle, à partir de l’étude de cinq « intermédiaires », Espagnols savants et lettrés qui se rendent à Paris dans les deux dernières décennies de l’Ancien Régime pour en découvrir la vie intellectuelle et en rendre compte à leurs correspondants espagnols. Au lieu de focaliser l’étude sur les idées et les savoirs qu’ils appréhendent, l’article se centre sur les conditions matérielles de leur participation à l’espace savant parisien. Il s’appuie, pour ce faire, sur une proposition historiographique stimulante, avancée par William Sewell, qui met en évidence le double mouvement de commercialisation et d’élargissement à l’œuvre dans l’espace savant parisien à la fin du xviiie siècle. À partir de là, on montre que si ces voyageurs sont placés dans une position relativement périphérique, à l’écart des institutions savantes les plus prestigieuses, ils s’intègrent bien dans de nouveaux lieux payants de diffusion du savoir (cours publics, musées) auxquels ils peuvent accéder en tant que consommateurs, indépendamment de leur identité sociale. Toutefois, la nature commerciale de ces espaces alimente en eux des doutes sur leur qualité, et des inquiétudes sur la valeur intellectuelle des livres et des nouvelles qu’ils envoient en Espagne. Ces doutes invitent finalement à reconsidérer les ressorts de leur intérêt pour la culture française. Plutôt que de voir en eux des passeurs de connaissances et d’idées émancipatrices, on peut les caractériser comme des acteurs transnationaux des Lumières, animés par une force ambivalente, qui se nourrit des mécanismes du marché mais dont la légitimité est toujours contestée, la curiosité.
Mots-clés
- Lumières
- Espagne
- Paris
- intermédiaires
- commercialisation
- curiosité