Les milices coloniales, la couleur et le jeu local des appartenances urbaines (Amérique espagnole, XVIIIe siècle)
En étudiant la milice comme un espace autonome, l’historiographie américaniste a défini la couleur des hommes comme son unique critère de différenciation sociale et comme un élément distinctif des sociétés urbaines coloniales. Cet article vise à interroger à nouveaux frais les logiques de composition et de recomposition à l’œuvre au sein des milices coloniales. Loin de révéler une stricte ségrégation fondée sur la couleur, le phénotype ou la race, l’analyse multisituée d’une dizaine de milieux urbains invite à se méfier des discours des acteurs, qui ne rendent pas toujours compte des pratiques et des critères de classement ni de l’organisation corporative complexe des villes américaines. La milice – et en son sein la milice de couleur – était un espace de cohésion urbaine et de reproduction sociale qui institutionnalisait des réseaux informels de sociabilité, de solidarité et de clientèle. Comme en Europe, les miliciens des villes coloniales héritaient donc des positions et des dignités occupées dans d’autres espaces sociaux de la ville (paroisses, confréries, métiers). La couleur était centrale, mais elle constituait surtout un recours discursif faisant émerger l’importance cruciale du lieu d’énonciation. En effet, la couleur n’était jamais le seul critère déterminant la position sociale des miliciens. Il s’agissait avant tout d’une manière de dire les hiérarchies, comme la naissance pouvait l’être dans les sociétés européennes à l’époque, avec la même centralité des conventions sociales contraignantes, mais traversées par bien des contradictions et des incohérences, qui conféraient une importance déterminante aux situations spécifiques et aux négociations.
Mots-clés
- Amérique espagnole
- milice
- villes
- couleur
- xviiie siècle
- appartenances