Les archives d’un pacha. Conflits fonciers et expertise locale du gouverneur de Salé dans le Maroc colonial

Enjeux de savoir, de l’expert au patron
Par Antoine Perrier
Français

Le rôle des experts occidentaux est très connu dans toute situation coloniale : la marge de manœuvre des acteurs locaux, munis eux-mêmes d’une expertise particulière, est souvent sous-estimée par une historiographie attachée à l’État colonial et à ses sources. L’étude de cas d’un conflit foncier au Maroc entre le pacha Sbihi de Salé et l’autorité coloniale veut montrer comment la stratégie d’un acteur marocain peut être reconstituée à partir des archives privées de sa bibliothèque. En transformant les terres collectives de la tribu des Bānū Ḥ’ṣayn en terres individuelles, le pacha Sbihi n’a pas seulement résisté aux demandes des autorités coloniales et de la colonisation. Il a aussi renforcé ses alliances avec la monarchie marocaine et les habitants de sa ville : ce cas montre comment s’élabore un consensus local par une stratégie complexe, dirigée vers les acteurs coloniaux et vers sa population.
Ce conflit foncier illustre l’usage que peut faire un expert marocain de sa connaissance des hommes et des lieux et d’une certaine capacité à créer des preuves juridiques en situation coloniale. Il prête aussi à une réflexion sur la forme particulière des archives familiales : à défaut d’archives centralisées du Makhzen, l’historien doit chercher, dans chaque ville, la mémoire de son gouvernement. Ce faisant, il doit rentrer en contact avec des acteurs et des institutions qui perpétuent une mémoire et un récit historique encore important dans le Maroc d’aujourd’hui. La valeur de la bibliothèque du pacha montre ainsi les liens profonds qui unissent enquête historique et travail de terrain au Maghreb.

Mots-clés

  • xxe siècle
  • Maroc
  • protectorat
  • expertise
  • Makhzen
  • droit foncier
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