Propriété et souverainetés impériale et nationale dans la Méditerranée orientale de l’entre-deux-guerres
Une riche historiographie internationale a mis en lumière le rôle des violences intercommunautaires, des transferts de population et de la redistribution massive de propriétés dans la consolidation des identités nationales dans les États successeurs de l’Empire ottoman pendant l’entre-deux-guerres. En dépit de précautions analytiques, l’essentiel de ces études offre une représentation statocentrée de la nationalisation des appartenances en Méditerranée orientale. Cet article revisite ce récit en s’appuyant sur les démarches entamées par des chrétiens orthodoxes et des musulmans contestant les identités politiques qui leur sont assignées suite au traité gréco-turc de Lausanne de 1923, dans le but de préserver leurs propriétés. Établis dans le Dodécanèse alors sous administration italienne, ces acteurs s’appuient sur les anxiétés coloniales des autorités fascistes concernant leur souveraineté contestée sur cet archipel récemment occupé (1912) et sur la volonté du gouvernement mussolinien de renforcer l’influence de l’Italie dans la région. Ce faisant ils deviennent co-concepteurs d’une nouvelle citoyenneté « égéenne » ou « italienne mineure » qui les place au sommet de la hiérarchie coloniale italienne. Cet article montre la mise en œuvre de « translocalités » au sens où il remet en cause la correspondance axiomatique entre identité politique et territoire en vigueur dans la théorie de la nationalisation des appartenances dans la Méditerranée orientale de l’entre-deux-guerres. Dans la mesure où le gouvernement italien utilise un répertoire national plus qu’« impérial » pour défendre les intérêts de ses sujets coloniaux, l’article questionne également l’opposition normative entre « empire colonial » et « nation » comme deux formations politiques incommensurables l’une à l’autre.
Mots-clés
- Propriété
- Méditerranée
- fascisme
- Empire ottoman
- translocalité
- souveraineté