L’article envisage la position des historiens médiévistes face à l’actualité de l’antisémitisme. Il traite de leur contribution à la réflexion sur la qualification des formes de l’hostilité antijuive et sur la longue durée dans laquelle ces formes s’inscrivent. C’est en effet dans la durée qui sépare le Moyen Âge de l’actualité que surgissent des échos que le médiéviste est mis en demeure de qualifier : récurrences, résurgences, adaptations, transformations, mutations ? En tenant compte des réflexions récentes sur les régimes de temporalité et de causalité historiques, l’article tente de montrer que la question du rapport entre formes héritées et formes contextuelles de l’hostilité antijuive rejoue du fait même de l’actualité et se trouve dominée, en conséquence, par la hantise de la téléologie. L’évolution des positions historiographiques de David Nirenberg, entre Violence et minorités au Moyen Âge (1996) et Anti-Judaism (2013), illustre la façon dont la perception du présent est susceptible d’affecter les choix de sources, de durées, de méthodes. Le cas du baptême forcé des enfants juifs permet enfin d’observer que, de même que la composante raciale a précédé l’antisémitisme contemporain (comme l’attestent les motifs médiévaux du fluxus sanguinis ou de la limpieza de sangre), l’antijudaïsme religieux a persisté bien au-delà du monde chrétien et jusqu’au cœur du XX^e siècle. L’analyse menée dans la longue durée révèle que la représentation du péril juif pour l’enfance qui étaye la question du baptême forcé des enfants juifs est une construction chrétienne apte à perdurer indépendamment du christianisme. Les liens implicites, mais manifestes, que les formes nouvelles de l’hostilité antijuive entretiennent avec l’histoire témoignent enfin de ce que la relation construite entre passé et présent n’est pas un pur artefact historiographique.