Onomasticon Ottomanicum III : Köprülü, un assez joli nom d'emprunt

Politiques du nom : la réforme des noms propres en Turquie et ses enjeux
Par Olivier Bouquet
Français

Mehmed Fuad Köprülü (1890-1966) fut l’historien turc le plus important du XXe siècle. Il portait le nom de famille de celui qui fut généralement présenté comme son ancêtre, le dignitaire Mehmed Köprülü Pacha, fondateur d’une lignée ottomane qui compta six grands vizirs entre la seconde moitié du XVIIe siècle et les premières décennies du XVIIIe siècle. C’est ainsi qu’il fut désigné avant et après la loi de 1934 qui imposa l’obligation du nom de famille pour l’ensemble des citoyens turcs. Pourtant, en 1918, un historien érudit, Ali Emiri, avait accusé l’universitaire d’avoir usurpé un nom au motif que ses ancêtres directs n’étaient pas les Köprülü mais d’autres dignitaires, les K?bleli.
L’objectif de cet article vise à examiner les fondements et la validité de cette accusation d’usurpation au regard des logiques de l’anthroponymie ottomane. Il rappelle que les noms propres n’étaient pas des désignateurs rigides et que les patronymes changeaient généralement d’une génération à l’autre, en sorte que les lignées distinguées par le service du sultan ne songeaient guère à défendre la gloire d’un nom contre usurpateurs de lignage et falsificateurs de généalogie. Que Mehmed Fuad Köprülü ait été soupçonné d’avoir usurpé un nom, qui n’avait fait l’objet d’aucune défense dans l’Empire de ses ancêtres, est un premier paradoxe qu’il faut éclairer. Il en est un second qui a trait à l’application de la loi de 1934. Fixateur anthroponymique officiel à l’usage des citoyens turcs dans leur ensemble, cette loi fit passer à la trappe de nombreux noms impériaux. Mais elle valida l’usage multiséculaire du nom Köprülü, répandu hors de la seule lignée des grands vizirs, au point qu’aucun de ceux qui le portaient ne semblait y attacher aucun prix ou n’en tirer aucune fierté. Comment donc expliquer qu’un demi-siècle plus tard, ce nom de famille fut davantage associé aux prestigieux grands vizirs au point de cristalliser, dans un régime républicain, une idéologie nobiliaire dont avaient été exempts l’Empire ottoman finissant et la Turquie kémaliste ?

MOTS-CLÉS

  • XX e siècle
  • Turquie républicaine
  • Empire ottoman
  • anthroponymie
  • usurpation
  • noblesse
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