La « révolution » de la lecture romanesque au XVIIIe siècle en France : institutionnalisation de la lecture et émergence d'une nouvelle sensibilité
Cet article cherche à nuancer la thèse d’une «révolution» de la lecture romanesque, selon laquelle une nouvelle pratique de lecture, se caractérisant par une affirmation de la sensibilité et de la subjectivité du lecteur, émerge dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.Analysée à la lumière des discours du XVIIe siècle sur le roman, cette lecture sensible, que définissent des auteurs comme Denis Diderot et Jean-Jacques Rousseau, se présente moins comme une rupture avec les pratiques antérieures que comme la revendication d’une dimension de la lecture romanesque qui était déjà bien présente par le passé. Réinscrite dans le processus de prise en charge culturelle de l’expérience romanesque qui s’étend à travers tout l’Ancien Régime, cette revendication accrue de la lecture affective témoigne moins d’un changement de sensibilité que de l’institutionnalisation de la lecture romanesque qui se développe depuis le début du XVIIe siècle. C’est parce que cette institutionnalisation a pris forme que les lecteurs de la seconde moitié du XVIIIe siècle peuvent pleinement revendiquer une lecture affective, sans craindre que celle-ci conduise aux excès que dénoncent les détracteurs de la fiction.